Je m’appelle Arnaud, j’ai 32 ans, je vis à Bordeaux et je suis heureux : je travaille à temps partiel dans une librairie, je suis DJ dans des bars et des soirées 5 à 6 fois par mois et suis également impliqué dans le milieu de l’art contemporain avec l’organisation d’expositions ou la rédaction de textes critiques. À défaut de nager dans le confort économique, je suis donc entouré de livres, de disques et d’oeuvres d’art ; la vie au poil dont je n’aurais osé rêver à 20 ans, encore prostré par l’angoisse de l’avenir et l’incapacité à formuler un « projet de vie ». J’ai également la chance d’avoir pu aller jeter un oeil dans d’autres coins du monde et j’ai la faiblesse de penser que j’ai une curiosité assez ample et honnête pour affiner autant que je le peux mon esprit critique sur la société humaine, et que s’il est loin d’être complètement lucide, il est au moins sincère.
« Mon idéal va vers une sorte de socialisme libertaire communaliste (mais) j’ai toujours été à l’affût des propositions politiques et des voix nouvelles »
Voilà pourquoi je suis heureux, mais pas mal choqué : si je m’en tenais à ma situation propre, je pourrais très bien détourner le regard et souhaiter simplement que rien ne puisse trop entraver le gentil cours d’une vie tout à fait satisfaisante, je pourrais même devenir le chantre « monétisé » d’une « uberisation heureuse », mais la curiosité est un salvateur défaut et je regarde les gens vivre autour de moi, et chaque jour amène son motif de révolte ou d’indignation. Il serait trop long d’en faire ne serait-ce qu’une synthèse grossière ; vous en retiendrez que mon engagement s’est naturellement porté à ses débuts vers l’extrême gauche radicale et anticapitaliste, et aujourd’hui encore mon idéal va vers une sorte de socialisme libertaire communaliste, une anarchie sereine et ordonnée, tout en étant bien conscient de son caractère utopique en l’état de la nature humaine. Cette position politique n’ayant aucune visibilité dans le débat médiatique (tout en ayant, ou étant concrètement à l’oeuvre dans des expériences locales associatives, écologistes, etc.) j’ai toujours été à l’affût des propositions politiques et des voix nouvelles, même – et surtout – marginales et dissonantes, et c’est ainsi qu’il y a un peu moins d’une dizaine d’années j’ai vu émerger la figure du vieil oncle têtu François Asselineau.
Jusque là je votais vaguement à l’extrême gauche par contestation désabusée, parfois à gauche pour faire plaisir à mon père qui était sur la liste, une fois à droite parce qu’il le fallait (ça n’arrivera plus)… et dernièrement je me déplaçais pour voter blanc. Cette année je vais voter comme jamais auparavant, avec une énergie inattendue et, à la limite complètement déraisonnable à la vue de ma résignation passée, pour François Asselineau, et pour la première fois aussi je milite pour que d’autres le fassent avec moi.
« J’éprouve une estime sincère pour quelqu’un qui a fait le choix d’abandonner une carrière de haut fonctionnaire prometteuse pour se battre seul pour ses idées »
Quand je l’ai découvert, il était vaguement associé à l’extrême droite, ce que j’ai saisi comme étant un malentendu entre souverainisme et nationalisme. Malgré tout en précisant son cas j’ai tout de même dû admettre qu’il était loin de mes idéaux, mais j’ai aussi constaté qu’il était assez irréprochable sur la question sociale, voire même plus à gauche que la supposée gauche « officielle ». Mais c’est surtout son parcours qui a forcé mon admiration, et j’admets m’être attaché au personnage : j’éprouve une estime sincère pour quelqu’un qui a fait le choix d’abandonner une carrière de haut fonctionnaire prometteuse pour se battre seul pour ses idées, contre l’opinion, contre les médias, et ce sans jamais changer de discours ni de ligne, sans compromis ni séduction électoraliste, dans la transparence financière la plus totale, dans l’adversité la plus inconfortable et avec une endurance pédagogique à toute épreuve (10 ans de conférences bénévoles tout-public sur l’histoire, l’économie, la géopolitique, etc. le plus souvent dans des arrière-salles de bar de village et des salles des fêtes à l’auditoire dérisoire). Tout cela jurait, et jure toujours assez largement avec la classe politique dans son immense majorité, et remettait au goût du jour des valeurs comme le courage des convictions, l’honnêteté morale et intellectuelle et la prédominance de l’intérêt commun sur le carriérisme opportuniste. Rien que pour ça j’aurais pu lui donner ma voix en pensant mon vote comme une abstention radicale : un vote contre les autres candidats représentatifs de la politique professionnelle, qui est le concept le plus aberrant qui soit (je nuance en évoquant le cas de P. Poutou et N. Arthaud, mais que je vois comme des candidatures de témoignage sans réel projet présidentiel crédible). Et finalement au-delà de la démarche éminemment respectable, il se trouve qu’en étant plus attentif j’ai finalement adhéré à une majorité de sa proposition, à la fois radicale et crédible.
Je vais évacuer tout de suite le problème du complot (je suis fatigué de cet enfumage grossier) et renvoie ceux qui ont encore la faculté de juger par eux-mêmes vers les argumentations proposées par l’UPR sur tous les sujets polémiques. En espérant que cela évite de nouveaux haussements de sourcils méprisants ou soupçonneux à la simple évocation de son nom.
Attelons-nous plus intelligemment à la question centrale qu’est celle de l’Union Européenne : il ne s’agit certainement pas pour l’UPR de sortir de l’Europe (il n’y a qu’un ensemble hasardeux de tremblements de terre coïncidant qui pourrait réaliser cet exploit géographique), mais de quitter une organisation économique libérale supra-nationale qui a doucement confisqué la démocratie de ses pays membres. Cela ne remet absolument pas en cause le partage des cultures, les échanges commerciaux équitables ou la libre circulation des personnes (nous sommes strictement attachés à l’espace Schengen, contrairement à d’autres). Je suis désolé de prendre à parti Charlie de Béziers mais son passage sur l’Europe est inexact et incohérent : il veut « plus s’ouvrir » alors que l’UE ne joue aucun rôle autre qu’économique dans notre capacité à circuler et partager librement entre pays, si elle ne nous isole pas plutôt dans l’Europe en nous fermant des horizons plus légitimes et cohérents (Afrique, Moyen-Orient, Asie). Pour ce qui est de l’éventuelle « sécurité » apportée par l’UE j’ose espérer que nous n’avons pas besoin d’une organisation économique pour penser raisonnablement que nous n’aurions aucun intérêt à attaquer l’Allemagne, et inversement, par exemple. Je constate par contre que ce sont les velléités de rapprochement de l’Ukraine avec l’UE qui ont pour partie (avec l’expansionnisme russe) déclenché la situation à la frontière russo-ukrainienne. J’attends toujours, sans y croire, que l’UE fasse quoi que ce soit pour la paix dans cette région.
« Je préfère encourager celui qui fait l’économie de la comédie, de la séduction et des vérités parcellaires »
Quant à la soi-disant « culture commune » créé par l’UE, là encore si elle devait exister j’ose espérer qu’elle n’émanerait pas de la création d’un espace de libre-échange économique, mais plutôt d’une histoire commune indéniable, mais complexe. Pour ma part je me sens bien plus proche de la démocratie islandaise ou suisse (qui ne sont pas dans l’UE) que du régime de Viktor Orbàn en Hongrie, et j’incline plus naturellement vers le Maghreb ou l’Afrique en général que vers la Scandinavie; je suis plus souvent au kebab qu’à la cafét’ d’Ikea, mais ça n’implique pas pour autant que je veuille opérer une blitzkrieg sur les forêts finlandaises pour débusquer le Père Noël, tout autant que je ne fermerai pas les yeux si les Russes se prenaient d’envie de nous doubler sur ce coup-là. Je ne m’étendrai pas sur la soi-disant « monnaie forte » parce que je ne suis pas économiste, mais il semble que Charlie encore moins ! Si vous avez la patience, je vous invite à écouter Vincent Brousseau, ancien économiste de la Banque Centrale Européenne sur le sujet. Néanmoins je ne veux pas le décourager dans son vote, mais s’il pense le programme de Mélenchon applicable en restant dans l’UE, il pêche par naïveté ou vision lacunaire. JLM joue sa stratégie en sachant très bien que les électeurs sont encore trop imprégnés de la pensée européiste pour ne pas s’effrayer de l’apocalypse promise. Et je sais que JLM le sait, dans un autre contexte je lui aurais donné ma voix avec plaisir, mais je préfère encourager celui qui fait l’économie de la comédie, de la séduction et des vérités parcellaires.
« On a affaire à un gaullisme mâtiné de progressisme et débarrassé du drame colonial »
Tout ça encore ne veut pas dire que je suis contre l’Europe, mais le traité de Lisbonne est mauvais. Parce qu’on aurait pu, et qu’on pourrait peut-être essayer de nouvelles choses : imaginons ne serait-ce que de proposer des élections simultanées entre les pays, pour dessiner des forces communes, nous écouter, définir entre nous des orientations générales pour que chaque pays puisse ensuite peser de façon cohérente dans les rapports de force entre membres (au parlement européen on a quand même l’impression de mecs payés à se plaindre ou à se résigner…) je déconne peut-être à pleins tubes mais avouez qu’on a jamais eu la moindre proposition concrète un peu enthousiasmante dans le sens d’une harmonisation sociale des démocraties citoyennes. On a eu Erasmus oui merci.
Concernant le reste du programme, je garde tout d’abord à l’esprit (je répète ce qu’explique le prof et j’y souscris assez) que le but d’une élection présidentielle est avant tout de mettre à la tête de l’Etat un arbitre impartial et au-dessus des partis, garant de l’indépendance du pays et du respect de la constitution. Le pouvoir législatif se constituera avec les élections législatives qui dessineront une majorité parlementaire et par extension un gouvernement. Néanmoins je trouve des propositions séduisantes dans le programme de l’UPR, si j’ai bien compris on a affaire à un gaullisme mâtiné de progressisme et débarrassé (par miracle…?) du drame colonial : un État présent mais décentralisé (si on est attaché à la démocratie locale et citoyenne il faut s’offusquer de la fusion forcée des communes, décidée par l’UE et à propos de laquelle nous n’avons jamais été consultés), la moralisation de la vie publique (en commençant par prêcher par l’exemple), la séparation stricte du pouvoir financier des autres pouvoirs, le vote blanc à valeur révocatoire (ce qui devrait être une évidence), les referendums d’initiative populaire, l’abandon de l’agriculture productiviste (décidée par l’UE) en faveur d’une agriculture raisonnée, la favorisation des médecines douces et alternatives, et (tous les précédents sont probablement proposés par d’autres et c’est tant mieux!) la remise en cause de la Françafrique, notamment par l’abandon frontal du franc CFA (là par contre, je suis sincèrement curieux de savoir si d’autres candidats évoquent au moins ça). Notez bien que je n’ai pas la prétention de maîtriser et d’être tout à fait lucide sur ses sujets, mais de ce que j’en sais c’est que je suis à-peu-près convaincu par la grille de lecture proposée. La grande inconnue étant l’économie, mais à la rigueur je me dis qu’au point ou on en est, s’il faut passer par là, une perte de 10, allez 20% grand maximum de la valeur monétaire, si tant est qu’on la sente vraiment passer, il y a peut-être moyen de s’arranger pour partager équitablement les frais avec ceux qui resquillent et même ceux qui ont un peu plus que ce dont ils ont besoin. Il y a bien d’autres inconnues, comme la revalorisation du budget de l’armée, le referendum systématique à propos de questions sociétales qui méritent d’être tranchées (nucléaire, législation sur les drogues, laïcité…) Là dessus à la limite, je me rassure en me disant que si c’est fait avec pédagogie et intelligence ça ne peut que donner de bons résultats. Il n’est pas exubérant de penser que l’on est capable de faire preuve de bon sens, et d’y aller si les choses sont expliquées et débattues avec toute l’exigence que ça requiert.
« Je veux juste pouvoir assumer cette conviction et empêcher un peu les ricanements méprisants »
Voilà, je m’emballe un peu, au fond je veux juste pouvoir assumer cette conviction et empêcher un peu les ricanements méprisants, parce que tout ça est quand même intéressant, et assez cool en fait. Si finalement, le vieil oncle têtu devient dingo, nous remet le service militaire pour reprendre Strasbourg, s’il réprime les luttes sociales ou si les banques se barrent avec mon PEL (3000€), je serai le premier à vouloir lui botter le cul, comme tous ceux qui auront voté pour lui j’espère, mais on y aura au moins cru, on sera un certain nombre à penser de bonne foi qu’on peut faire quelque chose de concret et de « bon » en prenant juste une décision un peu ferme et radicale, mais qui peut être historique si elle est prise dans le bon sens.
Si c’est la débandade et que j’entends que ça tergiverse un tant soit peu à l’UPR pour Le Pen, je m’en désolidariserai immédiatement et je ne ferai pas le fier, c’est sûr. Bon je suis aussi un peu lucide parfois et je sais que c’est chaud d’être au second tour, et j’aimerais que JLM y soit, alors je ne veux surtout pas faire changer d’avis ses électeurs, mais ceux qui se déplacent même plus, ceux qui votent blanc allez quoi…
« J’espère qu’on entendra Asselineau et qu’un jour on dira unanimement qu’il a bien bossé »
De toute façon tout le monde va bien finir par s’habituer à remettre en cause l’UE, et j’espère qu’on entendra Asselineau et qu’un jour on dira unanimement qu’il a bien bossé, qu’il pourra être au moins ambassadeur au Japon parce qu’il le mérite, je suis certain que c’est un vieil oncle hyper gentil au fond aussi, mais c’est surtout, selon moi, le dernier clown triste et sincère de ce grand cirque.
Cet article fait partie d’une série qui invite les lecteurs de 56 degrés à participer au projet. Les invités écrivent leur article avec un angle positif, bienveillant, même militant en faisant réaliser leur portrait en illustration.